Comment accompagner l’agriculture française dans sa transition écologique ?
A l’heure où j’attaque la rédaction de ce billet, le salon de l’agriculture vient d’ouvrir ces portes à Paris, dans un contexte de « crise » et de tensions largement relayé par la sphère médiatique.
Il est difficile de parler d’agriculture, tant ce sujet est vaste et complexe. Il est impossible de ne pas en parler, puisque la réforme de ce secteur, à l’origine d’environ 20 % %1 de nos émissions de gaz à effet de serre, est indispensable pour atteindre nos objectifs climatiques.
Quelles sont les sources de ces émissions et comment les réduire ? Comment s’assurer d’une souveraineté alimentaire, malgré les aléas du bouleversement climatique ? Comment concilier productivité agricole et respect de l’environnement ? Comment assurer une digne rémunération aux agriculteur.trices, tout en les accompagnant dans une indispensable transition ? Et lorsqu’on évoque l’agriculture, de quoi cause-t-on exactement ?
Non pas « une » agriculture mais « des » modèles agricoles
L’agriculture française est aussi diversifiée que le sont les paysages de notre beau pays. La production dominante reste celle des céréales et des plantes fourragères (29,3%), puis l’élevage (20,2%) dont sont dérivés les œufs et surtout le lait (13%). Vient ensuite la vigne (12,8%), les fruits et les légumes et d’autres secteurs plus anecdotiques comme les plantes (fleuristes, industrie pharmaceutique, parfumeurs…)2.
Tout comme le sont les secteurs de production, la taille des surfaces agricoles est elle-même très variée. Elle ne cesse toutefois d’être revue à la hausse, au même rythme que disparaissent les fermes. Entre 2010 et 2020, le nombre total de ferme est passé de 500 000 environ, à 389 000.
Dans le même temps, la surface moyenne de culture a augmenté, passant de 55 hectares en 2010 à 69 hectares en 20203. Cette tendance (diminution du nombre de fermes et augmentation de la taille des parcelles agricoles), ne cesse de se confirmer depuis 1970. A l’époque, on dénombrait 1 600 000 exploitations pour une surface moyenne de 20 hectares. Le nombre d’exploitation a donc été divisé par 4 en 50 ans tandis que la taille des parcelles a elle été multipliée par 3,5, au cours de le même période.
Cette transformation profonde est essentiellement due à la Politique Agricole Commune, gérée au niveau européen, qui, de par ses orientations, favorise un principe de subvention en fonction de la taille des exploitations. Autrement dit, plus l’exploitation est grande, plus elle reçoit de subvention, indépendamment de sa production.
Ce principe, appelée communément « subvention à l’hectare », pose deux problèmes de fond : le premier, c’est qu’il encourage les modèles agricoles « industriels » s’appuyant sur une mécanisation à outrance, sur l’emploi d’intrants chimiques et qui condamne sans appel toute zone de bio-diversité pouvant venir entraver son exploitation (comme les zones boisées et les haies par exemple). La deuxième, c’est que cette agriculture productiviste, qui n’est en réalité appliquée que par un petit nombre d’agriculteurs, pèse « lourd » économiquement, car elle alimente le cœur de notre exportation.
De fait, l’opinion publique a tendance à confondre et à amalgamer l’ensemble de l’agriculture à ce business agro-industriel dont l’essentiel de la production (52 % tous secteurs confondus) est destiné à l’export. Alors qu’il n’en est rien. De nombreux agriculteurs, ou paysans, comme ils préfèrent parfois se nommer, se retrouvent pris en étau entre les règles imposées par la PAC et le désir tout naturel de simplement vivre de leur production. Éleveurs, producteurs laitiers, petits céréaliers ou maraîchers, iels sont à la tête d’exploitations situées juste dans la « moyenne » ou d’une taille inférieure, ce qui ne leur garantit que peu de subventions et les rend dépendant de la vente de l’intégralité de leur production.
Obligés, en ce cas, de se soumettre aux contraintes d’achats imposées par les coopératives, l’agro-alimentaire et les distributeurs, qui fixent les prix en fonction de la concurrence mondialisée (en Europe bien sûr, mais désormais depuis des pays de de plus en plus éloignés), les « petits » agriculteurs peinent à assurer leur rémunération après avoir réglé leurs dépenses courantes (celles indispensables pour pouvoir travailler) et utilisent des intrants chimiques (pesticides, engrais azotés) délétères pour les sols et forts émetteurs de gaz à effet de serre, par crainte de perdre une année de production.
Si on ajoute à cela les aléas météorologiques, désormais courants, en raison du changement climatique, on comprend facilement pourquoi ce métier ne fait plus rêver et qu’un nombre croissant de fermes disparaîssent chaque année (100 000 en dix ans4), favorisant de la sorte le développement de « l’agro-business » réservé aux privilégiés.
Re-localiser l’agriculture et nos modes de consommation
Comme je l’évoquais précédemment, 52 % de notre production agricole est destinée à l’export. A l’inverse, nous importons 20 % de tout ce que nous mangeons, alors que nous avons sur notre territoire des agriculteurs qui peinent à vendre au juste prix leur production.
Ce paradoxe est la résultante de la libéralisation du marché de l’alimentation, renforcée par nos habitudes de consommation, inféodées à la grande distribution. Vous savez, ces grands magasins où l’on trouve des tomates et des fraises au cœur de l’hiver, des kiwis de Nouvelle Zélande et des avocats mexicains. Les aliments majoritairement importés sont les fruits et les légumes, le poisson et les crustacés, la volaille et la viande porcine.
Ces 20 % de nourriture importés alourdissent notre bilan carbone individuel (2,1 t eq CO2 de nos 9,9 tonnes annuelles dépendent directement de notre alimentation), puisque les émissions liées au transport de ces produits lointains nous sont directement imputées, ce qui est parfaitement légitime.
Il devient donc urgent de re-localiser notre production alimentaire et nos modes de consommation. D’oublier le supermarché pour retourner à nos marchés de village et de quartiers. Et là encore, il faut faire attention à l’origine de ce que nous achetons. Privilégions les maraîchers et producteurs locaux ou de régions proches de celles où nous vivons. Nous pouvons également faire nos courses dans l’un de ces magasins de producteurs locaux, qui fleurissent aux portes des grandes agglomérations.
Dans le même temps, nous devons sortir de tous les traités commerciaux de libre-échange négociés au niveau de l’Union Européenne, (comme le MERCOSUR) afin de cesser d’importer sur notre sol des produits agricoles fabriqués selon des normes environnementales et sociales délétères en comparaison des nôtres, et donc vendus à des prix bien moindres que les mêmes aliments, cultivés eux de manière locale.
Par nos actes d’achats, encourageons nos agriculteurs à diversifier leur production. A revenir sur la polyculture et sur l’élevage raisonné et de plein air. Contribuons à leur assurer une juste rémunération en acceptant de payer plus cher des produits de qualité, à faible empreinte carbone, dont la production respecte l’environnement et parfois même contribue à le régénérer.
Pour le bien commun et afin de contribuer collectivement à freiner le dérèglement climatique, nous devons accepter de dépenser plus quitte à manger moins souvent de certains aliments. Le bon exemple est celui de la viande que nous nous devons désormais de réserver aux grandes occasions. D’ailleurs une toute récente étude (20 février 2024) de l’ONG Réseau Action Climat5 valide le fait que nous pourrions collectivement atteindre nos objectifs climatiques, simplement en divisant notre consommation de viande par deux.
Une transformation individuelle et collective
Même en étant exemplaires, nos actions individuelles ne suffiront pas accompagner nos agriculteurs dans leur indispensable transition écologique assortie d’une juste rémunération. Ainsi, les collectivités publiques et les entreprises doivent également encourager cette transformation en invitant nos maraîchers locaux dans les cantines scolaires et la restauration collective.
C’est entre autres ce que prévoient les lois EGALIM, dont on nous parle tant en ce moment. Malheureusement, faute de moyens de contrôle par les pouvoirs publics, ces lois sont souvent contournées ou tout simplement non appliquées par les collectivités locales. Il faut exiger de nos élu.es locaux qu’elles soient systématiquement mise en œuvre à l’échelle de nos territoires.
A l’image du programme Résalis6 lancé depuis 2011 dans le département des Deux-Sèvres, il est nécessaire de revaloriser les circuits courts et d’approvisionner la restauration collective en produits locaux. Pour rétablir l’immunité alimentaire de nos territoires et obtenir à terme l’indispensable souveraineté alimentaire qui permettra à nos villes et à nos villages d’être résilients face aux bouleversements climatiques en cours et à venir, il faut remailler le territoire, de façon à faire renaître les structures agricoles qui ont disparues. Et cela passe par un indispensable soutien à la production et à l’installation.
Il faut aussi encourager financièrement (et moralement, en lui garantissant de justes rémunérations) une nouvelle génération d’agriculteurs en révisant la Politique Agricole Commune et en ré-organisant le remembrement des parcelles pour obtenir des surfaces plus petites, plus facilement exploitables, sans (trop) de mécanisation.
Ces préconisations, qui peuvent paraître en parfait décalage avec ce qui se pratique actuellement, émanent pourtant du Haut Conseil pour le Climat, organe consultatif du gouvernement français sur les questions climatiques. Elles ont été effectuées dans le cadre du rapport « Accélérer la transition climatique avec un système alimentaire bas carbone, résilient et juste »7, publié en janvier 2024.
Et l’élevage alors ?
En France, l’élevage est responsable à lui seul de 46 millions de tonnes d’équivalent CO2, soit 11% du total national, selon le récent rapport du Haut-Conseil pour le Climat dont nous parlions plus haut. L’élevage des bovins en est le principal responsable (93% des émissions), suivi par celui des porcs puis des volailles.
En plus des gaz à effet de serre, l’élevage intensif est très gourmand en eau et cause différentes dégradations environnementales comme les pollutions aux nitrates des ruisseaux et rivières ou les rejets d’ammoniac dans l’air.
Cette activité reste cependant une composante importante de l’agriculture française (37 % du nombre total des exploitations en 2020) et il est impossible d’envisager de la supprimer du jour au lendemain. D’autant qu’au delà des éleveurs, la production de viande entretient toute une filière économique et que sa consommation, bien qu’en constant recul depuis 2021, reste encore trop importante par rapport aux enjeux environnementaux (voir plus haut).
Tous les experts (GIEC et ADEME en tête) s’accordent à dire que la baisse de notre consommation de viande est incontournable dans le cadre de l’indispensable transition écologique. En 2023, la Cour des comptes française8 recommandait d’accélérer la réduction du cheptel bovin pour atteindr8 les objectifs climatiques du pays, en accompagnant les éleveurs et en encourageant les citoyen·nes à réduire leur consommation de viande.
Dans le même temps, une filière existe et les habitudes de consommation peinent à changer. Afin de ne pas pénaliser directement ni les producteurs ni les consommateurs, il apparaît indispensable de mettre en place des politiques publiques qui encouragent la reconversion et le redéploiement d’une filière de qualité.
Cette « nouvelle » forme d’élevage, alliée à un protectionnisme raisonable (l’arrêt des importations d’aliments carnés à bas prix, synonymes de méthodes d’élevages aberrantes d’un point de vue écologique et social) permettrait d’obtenir une quantité moins importante de produit, mais d’une qualité bien supérieure, quitte à ce que son prix final en soit drastiquement augmenté. La viande redeviendrait ainsi ce qu’elle a autrefois été : un produit rare et cher, à ne déguster que lors d’occasion festives où l’on prend plaisir à la partager.
Selon les experts de l’INRAE9, c’est exactement vers ce type d’élevage qu’il faut se diriger. Un élevage où les prairies rejoueraient un rôle central. En France, les prairies naturelles représentent environ dix millions d’hectares, soit presque la moitié de la surface agricole utile. Ces espaces sont indispensables pour séquestrer le carbone dans les sols mais également permettre de préserver les paysages et leurs haies.
En réduisant la taille des cheptels, tout en évitant de les concentrer au même endroit, en privilégiant une alimentation à l’herbe, on obtiendrait ainsi une forme d’élevage agroécologique, garante de qualité et qui rendrait en plus des services écosystémiques. Services qui pourraient complémentairement être rétribués à l’agriculteur.trice, au moyen d’une nouvelle orientation des politiques agricoles. Et ce, afin de combler potentiellement tout manque à gagner engendré par la diminution de la taille des troupeaux et la baisse des ventes de viande dans les circuits de l’agro-alimentaire et de la grande distribution.
En conclusion
La transformation écologique de l’agriculture dépend de nos décisions individuelles et collectives. Nous avons clairement le pouvoir d’influer sur les politiques publiques, la rémunération des agriculteurs, notre santé et celle de notre environnement au moyen de notre manière de consommer. En privilégiant des produits frais et locaux, en acceptant de payer plus cher certains aliments quitte à en manger moins souvent, nous soutenons notre agriculture, encourageons notre souveraineté alimentaire et œuvrons pour notre transition écologique et la préservation de notre environnement.
Par ailleurs, il est indispensable de revoir intégralement les politiques agricoles européennes et françaises, afin que cessent les subventions à l’hectare qui entraînent la disparition des fermes, favorisent la monoculture et ne servent en rien la majorité des agriculteur.trices ; pour que des subventions conséquentes soient redirigées vers d’autres modèles agricoles, comme la polyculture, le maraîchage bio ou l’élevage sur pâturages tournants ; pour que nous cessions d’entretenir une concurrence déloyale à nos propres produits par la ratification des traités de libre-échange méprisants nos normes sanitaires et environnementales; pour que soient encadrés de manière ferme les marges des grands groupes agro-alimentaires et de la grande distribution.
Sans mener de front ces deux axes d’actions, complémentaires et entremêlés, la transition écologique de notre agriculture, tout comme notre souveraineté alimentaire, resteront pour longtemps une illusion.
Notes et références
1/7 – Source rapport janvier 20124 du Haut Conseil pour le Climat – « Accélérer la transition climatique avec un système alimentaire bas carbone, résilient et juste »
2 – Source chiffres 2022 par secteurs agricoles – Ministère de l’Agriculture
3/4 – Rapport AGRESTE 2021 – Ministère de l’Agriculture
5 – ONG Réseau Action Climat – https://reseauactionclimat.org/une-alimentation-bonne-pour-la-sante-et-le-climat-cest-quoi/
6 – Réseau RESALIS – https://www.resalis.com/
7 – Source Ministère de l’Agriculture
8 – Rapport de la cours des comptes : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-soutiens-publics-aux-eleveurs-de-bovins#:~:text=En%202020%2C%20on%20d%C3%A9nombre%2091,la%20plus%20subventionn%C3%A9e%20en%20France.
9 – Institut National de Recherche pour l’agriculture, l’Alimentation et l’Environnement